Entretien avec Prisca Demarez, alias Grizabella dans Cats

/ Interview - écrit par jaiina, le 25/02/2016

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Krinein avait adoré la comédie Musicale "CATS" et était tombé sous le charme de Grizabella, cette chatte abîmée par la vie qui espère une nouvelle chance. Nous vous proposons d’aller plus loin et de partir à la rencontre de Prisca Demarez, qui l’incarne tous les soirs depuis le 1er octobre, entre passion et souffrance.

 

 Nous sommes déjà à la 150e représentation de CATS, LE succès de la rentrée dans lequel vous incarnez Grizabella. Pouvez-vous nous présenter ce personnage ?
Grizabella était la star des chats, elle est aujourd'hui la star déchue. Elle a été la reine des chats à une époque mais elle a été abîmé par la vie, sans doute pour une histoire d'amour. Elle touche à toutes les douleurs et n’importe qui peut se retrouver dans ses douleurs. Elle est brisée, en fin de vie mais la fin de vie n'est pas une histoire d'âge. Malheureusement, il n'y a pas d'âge pour avoir vécu toutes les souffrances du monde. Elle essaye d'être l'élue du Deutéronome, ce vieux chat qui accorde la vie éternelle. Donc ell traîne autour du clan des chats qu'elle évite normalement et au lieu de se présenter comme les autres chats qui mettent en avant leurs forces, elle montre ses faiblesses et ses blessures. C'est un personnage qui me touche énormément.

Justement, qu’est ce qui vous touche dans ce personnage ?

Elle est vraie. Elle tremble, elle parle de son manteau qui est terne, elle vient montrer ses blessures. Dans ce cas-là, on ne peut rien contre quelqu'un qui vient dire je suis moche, abimée et en train de mourir. On peut encore le rejeter mais en même temps il a été vrai. C’est beau quelqu'un qui s'est brisé les ailes et qui en veut encore.

CATS est un défi vocal mais aussi physique. Comment vous préparez vous à être un chat tous les soirs ?

(Rires). C'est une souffrance ! Être chat signifie être sans tension. Pour y parvenir, cela nous demande, à nous humain, des tensions de la tête aux pieds  car chaque partie du corps est en mouvement. Nous nous préparons tous ensemble et travaillons chaque mouvement du chat, puis chacun à échauffement spécifique par rapport à son personnage, notamment vocal, dans mon cas. Même en coulisses, on n’arrête jamais de travailler. C’est une véritable leçon, j’ai notamment poussé ma technique autrement en observant les danseurs.


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Et vous avez aussi appris au niveau du maquillage…
Oui, nous sommes totalement autonomes sauf pour mettre les perruques. En fait, nous sommes des chats entourés d’une armée de petites souris autour de nous. Une cinquantaine de personnes (entre les perruquiers, les costumiers, les gens qui s'occupe de la lumière, de la technique) s’assurent que tout est placé au bon endroit au bon moment pour que le spectacle fonctionne. On ne les voit mais ces personnes sont si importantes.

Votre formation ne vous prédestinait pas à la comédie musicale puisque vous avez été psychomotricienne et maintenant votre interprétation de Memory, ‘Ma vie’ dépasse presque la version de Barbra Streisand…

Oh non, je l’aime trop et ne veux pas la dépasser. Je sens que je suis attendue tous les soirs mais maintenant ce n'est plus mon problème, c'est celui de Grizabella. J’ai cherché à rendre cette chanson dans son contexte puisque Barbra Streisand l’a sortie pour en faire un tube international sublime. Mais c’est une femme en fin de vie, c'est le chant du cygne. Remis dans le contexte, ça résonne différemment. Je suis contente d'avoir réussi à trouver ma voie pour l’interpréter et non pas à reproduire une voix, qui de toute manière n’est pas reproductible car c'est une légende.


Comment êtes-vous arrivée à la comédie musicale, sachant donc que vous avez exercé d’abord en tant que psychomotricienne ?
Quand j'avais six ans, je regardais tous les matins la cassette de West Side Story à la télé. Je connaissais toutes les chansons et chorégraphies par cœur. C'est à ce moment-là que je savais que je voulais faire cela plus tard mais dans ma famille, le milieu artistique était inquiétant et angoissant. (maintenant ils ont compris que c'est un vrai métier !). Du coup, j’ai été psychomotricienne, auprès d’enfants en difficulté, parfois des personnes en fin de vie. J’ai adoré ce métier qui est un métier d'accompagnement et d'amour que je retrouve aussi en scène. Donner quelque chose et être dépassée par ce qu’on a semé…

J’ai exercé pendant cinq ans puis, en me mettant loin de ma famille, à la Réunion, j'ai eu le courage de franchir le cap et ai commencé à chanter dans des hôtels, des restaurants. Un jour, mon professeur d’improvisation théâtrale est venu me voir et m'a parlé d’une comédie musicale qui se montait et dont il me verrait bien tenir le rôle principal. Ce qui fût le cas. Ça a été une traînée de poudre là-bas : radio, télévision,… tout s'est ouvert. Puis, de nombreuses personnes m’ont dit que je pourrais aller à Paris me frotter à autre chose.

Et là, je me suis pris un mur car à Paris, personne n'attend personne. J'ai dû repartir de zéro, aller de casting en casting jusqu'à ce que ça marche. Un petit rôle puis un autre, un peu plus grand…

Concernant la formation, j’ai également suivi une vraie école de théâtre car je trouve important de travailler le répertoire classique, des textes de Marivaux ou Shakespeare, afin d’exprimer avec profondeur un texte chanté. C'est tellement facile de s'appuyer sur une chanson et se laisser porter par la musique alors qu’une chanson, c'est un monologue. J’ai aussi naturellement suivi des cours de chant.

Nous avons évoqué plus haut votre rapport à l'humain : vous avez une relation forte avec vos fans. Vous êtes active sur Facebook notamment.

Tant que je peux, je le fais. Les personnes ont pris du temps pour m'écrire un message, pour venir et m'attendre et je souhaite respecter cela et leur rendre. Comme le disait Barbara, ma plus belle histoire d'amour c'est vous. Cela résonne en moi.

Vous avez une actualité chargée à la rentrée.
J’ai la grande chance de travailler avec Ladislas Chollat, un vrai metteur en scène de théâtre et un grand directeur d'acteurs qui vient chercher le fond des choses, sur ‘Oliver Twist’, qui se jouera à la salle Gaveau une salle mythique qui est entièrement réinventée pour l'occasion. J’y incarnerai Nancy, une Antigone moderne, celle qui vient défier la société pour sauver quelqu'un. C'est un personnage très drôle et très dramatique. Ce sera une comédie musicale mais très théâtrale aussi. Je vais me nourrir des deux aspects.

Depuis Notre Dame de Paris en 1998, on assiste à une explosion de comédies musicales plus ou moins réussies. À la rentrée, Notre Dame de Paris va reprendre. Il y aura donc Oliver Twist mais aussi le Rouge et le Noir, le Fantôme de l'opéra (qui succède à Cats à Mogador). Vous qui connaissez bien cet univers, peut-on dire que Paris rivalise avec Broadway ou le West End ?

On en est loin, nous n’avons pas encore cette culture là en France. Le public est en train de s’éveiller à ce monde musical. Lorsque j’entends dire qu'il y a déjà cinq comédies musicales, que c’est beaucoup, j’ai envie de répondre qu’il y a presque 900 pièces de théâtre sans que cela choque personne. À Paris, le public est plus "théâtreux". Mais le public est en train de se former, ainsi que les artistes, qui travaillent le chant, la danse et le théâtre. Nous arrivons à des qualités proches de Broadway. Je suis très fière d'entendre le directeur musical anglais de Cats, Graham Hurman, nous rapporter que les gens dans le monde parle de Cats Paris, dont l’équipe est fantastique. Il faut aussi que la magie s'opère avec le public car au départ il faut se souvenir que c'est Cats qui a relancé Broadway. Ce qui devait être un gadin au début dure depuis 21 ans !

Avez-vous des projets plus personnels car une comédie musicale, c’est très choral ?

Je suis en train d'écrire  et je rêve de pouvoir donner ce que j'ai au fond de moi, ne pas être au service d'un texte de quelqu'un d'autre mais porter mon message à moi. J'aimerais essayer de lancer un titre. Je suis avant tout une interprète mais depuis Memory, on me dit que je suis une chanteuse.  J'aime les messages et j’ai envie de sortir les personnages qui sont en moi. On verra … !

Cats, jusqu'au 3 juillet à Mogador.

Oliver Twist, à partir du 23 septembre à la salle Gaveau