9/10L'Etrange Festival de Strasbourg 2004

/ Critique - écrit par Lestat, le 13/11/2004
Notre verdict : 9/10 - Stranger in the Night... (Fiche technique)

Mardi 26 octobre 2004, quelque part avant 20 heures. Ce soir a lieu la séance de clôture de l'Etrange Festival de Strasbourg, manifestation qui achève alors de fêter ses dix ans d'existence. La queue s'allonge devant le cinéma l'Odyssée. Nous sommes en plein Centre Ville de Strasbourg, à quelque pas de la Place Kléber.


Au départ purement parisien, l'Etrange Festival s'est vu pousser une excroissance sous l'impulsion d'une association strasbourgeoise, les joyeux drilles du Mad Ciné Club, qui peut se vanter de rassembler depuis dix ans pendant quelques jours une bonne part de cinéphiles pour une programmation qui lui est propre. Comme son nom l'indique, l'Etrange Festival se consacre à une tranche de cinéma à part : celle de l'insolite, de l'étrange, du rare ou tout simplement de l'inédit. Pas de genres de prédilection, nous trouvons du fantastique et de l'horreur, mais aussi du thriller, du drame, de la Science Fiction, de l'animation japonaise...
Pour 2004 comme pour les autres années, le programme était varié et pour tout les goûts. En vrac, une nuit des Morts Vivants avec entre autre Zombie de
Romero et le Retour des Morts Vivants d'O'Bannon, la Science Fiction kitsch de Barbarella, Hair High de l'impertinent Bill Plympton (l'Impitoyable Lune de Miel), Casshern, nouvelle arlésienne des fans de cinéma asiatique, sans oublier pour la première fois cette année à Strasbourg, la fameuse "carte blanche", consacrée à Fabrice du Welz.
La carte blanche, bien connue du public parisien, laissant la programmation au choix de son bénéficiaire, Fabrice du Welz proposa ainsi au public le très noir Tras el Cristal, film espagnol interdit aux moins de 18 ans. Pour ceux qui ne connaissent pas Fabrice du Welz, apprenez qu'il est le réalisateur de Calvaire, une sorte de Survival mâtiné de fantastique qui commence à se faire une sacré bonne réputation. Calvaire qui a bien sur été présenté au festival lors de la même soirée. Par comparaison, l'édition 2003 abreuvait les spectateurs de films aussi disparates que Dead Or Alive, Beyond Re-Animator, May ou encore... Kiki la Petite Sorcière. De quoi vous donner une idée plus précise des programmations de l'Etrange Festival, capable d'enchaîner un film de Takashi Miike (et tout ce que cela sous-entend...) avec un délirant film gore tout en passant par un mignon petit manga.
L'attraction de ce mardi 26 aurait donc dû s'appeler The Machinist, dernier film en date de Brad Anderson dont les premières images circulantes marquèrent plus d'une rétine : dans une atmosphère sombre apparaît un Christian Bale maigre à faire peur, le visage cerné et marqué... Hélas, The Machinist se verra annulé et remplacé au pied levé par Session 9, que l'on pourrait appeler "l'autre" film de Brad Anderson. Cadeau de consolation mais beau cadeau, Session 9 étant inédit en France. Le sujet ? Une petite entreprise part désamianter un vieil asile de fous qui apparemment n'abrite pas que de la poussière... Brrr voila de quoi passer une agréable mauvaise nuit.

Mais revenons sur ce cinéma atypique qu'est l'Odyssée. Cerné par un Pathé Vox, plus loin, deux cinémas Star et, encore plus loin, un UGC, l'Odyssée fait figure d'îlot pour le naufragé en mal de cinéma "différent". A l'Odyssée, aucune chance de voir Alien Vs Predator. En revanche si il vous prends l'envie d'aller voir le Dr Folamour en plein milieu de l'après-midi, Le Château de l'Araignée de Mankiewicz, un documentaire sur Akira Kurosawa ou de participer à un cycle Ken Loach, l'Odyssée fera votre bonheur. Cinéma mais aussi centre culturel, l'Odyssée est également pourvu d'une bibliothèque bien fournie consacrée au Septième Art. Conçu à l'origine, soit 1913, tel un théâtre cinématographique, l'Odyssée a gardé ses dorures et son architecture à l'italienne : comprenez par là que les sièges sont à deux niveaux, soit "parterre" et "balcon". Un cadre assez intemporel, vieillot sans être kitsch, qui ne manque vraiment pas de charme. En étant de très mauvaise foi, on pourra dire que les sièges ont tendance à faire mal au derrière, mais un cinéma est avant tout conçu pour satisfaire les yeux et non pas l'arrière-train.

Dans ce cadre idéal pour lui se déroulait donc du 20 au 26 octobre 2004 le dixième Etrange Festival de Strasbourg. La dernière séance commence par un petit film où quelques personnalités y vont de leur petit mot. L'amateur d'horreur est aux anges puisque défilent les têtes bien connues de Tobe Hooper, Stuart Gordon ou encore Jaume Balaguero. Puis Philippe Lux, l'homme à la tête du Mad Ciné Club, prend la scène d'assaut. L'ambiance est à la bonne déconne et le petit discours oscille entre l'officiel, les remerciements d'usage et la franche camaraderie : un micro qui marche pas, des vannes par ci par là, un peu de meublage le temps que les projectionnistes se dépatouillent... bien que sans doutes préparé au millimètre en coulisse, la soirée de clôture donne une impression agréable d'improvisation. En marge de cette bonne humeur, c'est la passion qui se ressent, le plaisir de faire plaisir. "Un peu déçue par hier" lâche une petite voix dans les balcons. "On se targue pas de passer des chefs d'oeuvre" répondra Philippe gentiment. Pas forcément des chefs d'oeuvre, mais toujours de l'inhabituel ou de l'inédit. Tout est dit. Il convient tout de même préciser que les chances de se taper un navet à l'Etrange Festival, de Strasbourg ou de Paris, sont quasi nulles.
Avant Session 9, des "surprises", en forme de courts métrages. Le premier est le fameux Batman Dead End de Sandy Collora. "On vous passe ça un peu en lousedé" confie Philippe. En effet Warner, qui détient la franchise Batman, ne voit plus d'un très bon oeil ce court métrage gratuit au succès retentissant. Le deuxième court est un étrange produit issu tout droit de Supinfocom. Il s'agit de Dahucapra Rupidahu, Prix du Jury du Festival d'Annecy 2004 dans la catégories "courts métrages d'étudiants", mêlant images réelles et animation. Sur le ton du reportage, nous voila embarqué dans un film à mourir de rire sur la vie du Dahu ! Technologiquement sans reproches et au final une bonne poilade. Si vous avez l'occasion un jour le voir, ne vous privez pas de ce plaisir. Puis fini de rigoler, voila Session 9. Climat poisseux, ambiance lourde, personnages plein de surprises, quelques séquences blairwitchiennes et une poignée de scènes qui font monter le trouillomètre... pour ma part moins tétanisant que prévu, faute à un retournement final quoique bien violent qui laisse une sensation indescriptible de surprise et de frustration, mais un film en tout point efficace.

Session 9 est la conclusion en beauté d'un Festival qui n'a pas fini de faire parler de lui. Dix ans déjà et ça ne s'arrêtera sans doutes pas là. Une initiative qu'il faut soutenir : si les chiffres de fréquentations restent encore légers, ils sont en constante augmentation. Un fait rassurant pour un Festival porté par les épaules d'une petite association bénévole et financé par partenariats. Merci et bravo à eux d'oser faire vivre un cinéma hors norme. Rendez vous l'an prochain et espérons le, dans dix ans...