10/10Lugdunum Contest - Descente Roller

/ Critique - écrit par Kassad, le 18/10/2004
Notre verdict : 10/10 - Au delà des mots (Fiche technique)

Tags : roller message descente france lyon monde contest

Le Lugdunum Contest 2004 est la dernière manche de la coupe du monde IIDA 2004 de descente en roller. Comme son nom l'indique, la descente roller est un sport dont l'objectif est de dévaler les pentes les plus abruptes possibles en un temps minimal. Tout comme chez nos cousins skieurs c'est la discipline reine par excellence. A la fois technique, physique et réclamant un mental à toute épreuve (mettez-vous en haut d'une pente patins aux pieds, vous verrez peut-être un peu mieux de quoi je parle), chaque descente est une épreuve totale mobilisant tous vos sens, tout votre intellect, et tout votre corps.

Riders de tous les pays...

Ils sont tous là : les Autrichiens qui font figure d'épouvantails, les Italiens et leurs 12000 tenues, les Suisses et leurs produits "naturels", les Danois taillés comme des vikings, les free-riders marseillais venus mettre le feu sans oublier l'importante délégation lyonnaise, Benoît Gamba (leader provisoire de la coupe du monde 2004 et vainqueur 2003) en tête. Tout le gotha mondial de la descente s'est donné rendez-vous sur la colline de Fourvière en plein coeur de Lyon pour cette manche finale qui déterminera le vainqueur 2004 de la coupe du monde. Ils sont deux en lice pour la première place pour ce classement : Benoît et Dominique Dobler un Autrichien qui n'accuse qu'un tout petit point de retard. Tout est possible aujourd'hui. Au milieu de cette armada je me demande un peu ce que je fais là. Je suis venu en amateur. Mon "truc" à moi c'est plutôt la vitesse, comprenez les courses de plat, où justement la vitesse est beaucoup plus faible qu'en descente. A vue de nez on va frôler les 70-80km/h dans la première partie, très rapide, du parcours de 2km.

Sainte Marie mère de Dieu priez pour nous pauvres riders

Le départ est situé juste derrière la basilique de Fourvière. Nous écoutons les dernières recommandations en face du cimetière de Loyasse : les organisateurs auraient-ils vraiment prévu toutes les éventualités ? Inutile de vous dire que c'est dans une ambiance tendue que se passe la distribution des petits bracelets jaunes qui identifient les riders. La traduction approximative de Karim nous permet quand même de relâcher un peu la pression. Mais c'est juste pour la forme. Car le ciel est gris, et pire de tout le sol est à moitié trempé. C'est le cauchemar de tous les descendeurs. En effet si le sol est totalement mouillé c'est beaucoup plus agréable : ça glisse ok mais ça glisse tout le temps et on s'adapte. Là il est impossible de prévoir le comportement au sol, la sensation de glisse est impossible à maîtriser. Si vous commencez à freiner sur une zone humide et que soudainement vous vous retrouvez sur une zone sèche (et inversement), vous avez bien 1 ou 2 dixième de seconde pour réagir sinon c'est une gamelle assurée. Les premières reconnaissances sont calamiteuses. Tout le monde en prend pour son grade. Pour vous donner une idée de la chose je dirais juste que Daniel Ladurner (quand même vainqueur de la coupe du monde 2002), Benoît Gamba et presque tout le top ten du classement mondial y passent et chute à plusieurs reprises. Je ne vous parle même pas des autres... Dieu a dû entendre nos suppliques et le soleil refait son apparition en fin de matinée. La piste est quasiment sèche pour l'après-midi.

Ambiance contest...

Jusque là l'ambiance tenait plus du free-ride de haut niveau, vus les participants, que de la compétition acharnée. Tout change après la pause de midi. Une reconnaissance, dix minutes pour tourner les roues, et la première des deux descentes chronométrées partira. Le meilleur des deux temps sera retenu pour classer les participants. Immédiatement on sent que l'ambiance est montée d'un cran. Les discussions se font plus rares. Les visages se ferment. Chacun rentre en lui-même, on repense la descente en se remémorant les détails glanés lors des reconnaissances du matin : les points de repères (là un arrêt de bus, ici une plaque d'égout) pour les freinages, les petits pièges comme les défauts du bitume, les parties qui accrochent mieux que les autres (le grand gauche, il faut le prendre extérieur), les différences d'humidité (certaines parties resteront mouillées toute la journée). Déjà durant la dernière reconnaissance, alors que le public était en place, mes perceptions se sont modifiées. Tout ce qui vient de l'extérieur m'arrive comme amoindri, les applaudissements et les encouragements me paraissent si loin. La dernière remontée dans le bus se fait dans le silence. Dans quelques instants les premiers s'élanceront dans l'ordre inverse des dossards. L'un après l'autre avec trente seconde d'écart entre chaque concurrent. Je porte le numéro 30, nous sommes 63. Encore un bon quart d'heure avant que mon tour n'arrive.

C'est là que vous vous retrouvez

Je suis entre les deux lignes matérialisant le départ. Je n'ai pas encore bougé et mon coeur bat pourtant a plus de 130 pulsation minute. Go ! Le top départ est donné. Pousser sur les jambes - pas trop longtemps - et se mettre en boule. La première partie est très rapide et jusqu'à la première chicane il suffit de se laisser glisser. Premier gros freinage, je négocie la chicane presque à l'arrêt, j'assure trop, je dois relancer fort à la sortie. Suit une longue portion, la plus rapide, un léger droite et je vois poindre la première épingle à droite. C'est le moment de la descente où l'on va le plus vite, on doit approcher le 80. Paradoxalement c'est aussi le moment de repos physique et mental de ce parcours. Je vois l'arrêt de bus, dernière limite pour lâcher un gros freinage avant une méchante épingle sur la droite. Je passe cette dernière correctement, petite descente qui amène très rapidement sur une nouvelle épingle à gauche. Ici le bitume est pourri, rapiécé de toute part. Le grain du béton est grossier et il est encore humide. Ce virage est un vrai poison. Je freine très fort et même à 10 km heure je sens que mes patins dérapent et que je me déporte sur l'extérieur. Nouvelle mini ligne droite, encore plus courte que la précédente et nouvelle épingle à droite. Là encore je frôle la correctionnelle. Commence alors le vrai cauchemar de la descente, LE virage sur lequel tout le monde se prend la tête pour savoir comment l'aborder depuis le début. Il s'agit d'un grand gauche, humide en dévers sur l'extérieur, qui n'en finit pas de se refermer. Il doit faire 250° et débouche sur un pif-paf (une alternance de virage droite-gauche très serrée). Je le prend sur l'extérieur (où c'est sec) pour replonger à la corde vers la moitié du virage et je ressors sur l'extérieur en frôlant le mur de droite. Ouf ça a tenu. Il me reste un virage à droite facile à négocier et une chicane pas trop méchante. Puis vient la dernière difficulté : l'arrivée qui se fait sur un 90 droite avec freinage sur du bitume bien défoncé. Là J'hésite un instant : je choisis de passer à gauche de la plaque d'égout. Mauvais choix je prend le virage trop large... et termine dans les bottes de pailles.

Apprentissage

Mon deuxième run fut bien plus réussi. Pas de chute et pour l'arrivée j'avais bien noté les commentaires de Natacha (vice championne du monde 2002) concernant la trajectoire à prendre. C'est là en fait que se font les différences entre les amateurs et les champions. Ce ne sont pas dans les schuss mais dans les passages à vitesse réduite que la classe s'exprime le mieux. A la limite tout le monde est capable de foncer, et beaucoup peuvent freiner correctement. Mais savoir où il faut se placer pour perdre le moins de temps possible est une vraie science qui s'acquière avec une pratique énorme. Suivre un champion en descente est assez facile pour peu que vous ayez un minimum de technique. Mais dans la course vous êtes seul. Personne ne vous montre où plonger dans le virage, quelles sont les trajectoires qui vous feront ressortir le plus rapidement.

Alone in the track

C'est cette solitude qui est la caractéristique la plus forte de la descente et lui confère un aspect transcendantal. C'est une sensation impossible à décrire complètement tant que l'on ne l'a pas vécue. Une descente est un instant de face à face avec soi même. Pas de tricherie ni de duperie possible, la moindre imprécision et c'est un aller simple vers le bitume. Pas possible de mettre le jeu sur "pause" non plus, une fois parti il faut y aller. Le taux d'adrénaline doit monter à des niveaux records. Je me rappelle de ma chute du premier run comme si elle avait durée un quart d'heure, en fait il ne devait s'agir que d'une seconde voire deux au plus. Mais votre cerveau est tellement en mode accéléré que tout vous semble se dérouler au ralenti. On se retrouve dans un autre monde où les règles de la physique ne sont plus les mêmes. Un monde où votre corps est à la fois à l'affût de toutes les sensations, même les plus infimes, et en même temps où tout ce qui vous entoure disparaît. Les visages, les cris de la foule tout se brouille et semble si loin.

Champion !

De l'avis de tous les participants cette descente fut la plus technique et la plus éprouvante de tout le circuit 2004. Ce fut aussi la mieux organisée, pas un seul couac et le déroulement fut quasi parfait. Du côté du public ce fut aussi un vrai succès, là encore tous les riders mêmes les plus aguerris étaient ébahis par l'accueil et la foule. Mais je m'aperçois que je ne vous ai toujours pas dit qui était le vainqueur... C'est Daniel Ladurner qui s'impose au terme d'une deuxième manche énorme : il avait lourdement chuté dans la première et il améliore son temps de plus de trente secondes. Une vraie performance. Benoît Gamba termine second du contest ce qui lui offre son deuxième titre consécutif de vainqueur de la coupe du monde de descente. Quant à moi j'ai terminé en ayant tout donné, je suis encore sous le choc. C'est un grand moment de ma vie que je viens de passer. Si cette année j'ai douté avant de m'inscrire, je suis déjà prêt à signer une nouvelle fois pour l'année prochaine. La vie est courte, j'en profiterai jusqu'au bout.