8/10MOEBIUS-TRANSE-FORME

/ Critique - écrit par Jade, le 18/10/2010
Notre verdict : 8/10 - Life on Mars (Fiche technique)

Tags : moebius exposition fondation cartier transe art giraud

Mœbius, La Chasse au Major, 2009 Acrylique sur toile, 90 x 130 cm  © Mœbius
Mœbius, La Chasse au Major, 2009
Acrylique sur toile, 90 x 130 cm © Mœbius
La Fondation Cartier organise la première rétrospective sur l'œuvre de Moebius, le dessinateur de bandes dessinées, réputé notamment pour son travail sur l'Incal ou Blueberry.
Jean Giraud, de son vrai nom, aujourd'hui âgé de 72 ans, a pris une part active à l'organisation de cette rétrospective, qui porte le nom évocateur de Transe-Forme et projette son tout premier film d'animation en tant que réalisateur. Nous avons eu l'occasion dimanche 10 octobre 2010, de visiter l'exposition et de participer à une interview de l'artiste.

Les amateurs en conviendront certainement, il aurait été difficile de trouver un thème plus pertinent afin de résumer l'œuvre pour le moins hétérogène de Moebius, connu principalement comme auteur de science-fiction et fantastique, mais dont les égarements dans d'autres univers ne sont pas rares. La première partie de l'exposition mène le visiteur sur les pas de Jean Giraud le dessinateur de BD à travers des travaux préparatoires et des planches originales de différentes de ses œuvres. Autant d'exemples de déclinaisons du thème de la transformation. Des transformations androgynes et transcendantales de l'Incal aux paysages en constant changement d'Arzach, chaque illustration représente une facette de l'œuvre de Moebius et balaie admirablement l'ensemble de sa production. L'ambiance sonore est assurée par des commentaires tout à fait dignes d'attention de Giraud lui-même, expliquant la genèse de son œuvre ou ses choix artistiques. Là où l'exposition devient extrêmement intéressante, c'est dans sa manière d'intégrer au travail exposé les œuvres les plus atypiques de l'auteur, à savoir celles où il se met en scène lui-même (Inside Moebius, pour ne citer que celle-ci). La notion de transformation est alors prise au sens large pour exprimer le passage de la réalité à la fiction lors de la création artistique. C'est bien la même idée que l'on retrouve face aux planches de Blueberry montrant le cowboy au début de sa conception (c'est alors clairement Jean-Paul Belmondo qui est son modèle) et dans les derniers albums (la ressemblance avec Charles Bronson notamment est alors frappante). Le temps passé à examiner attentivement la première partie de l'exposition ne serait certes pas perdu, tant elle est riche et illustrative de l'univers de Moebius, tout en restant parfaitement accessible.

Gir, dessin pour la couverture de Blueberry, tome 24 : Mister Blueberry, 1995 Gouache et acrylique sur papier, 44,3 x 33,6 cm © Dargaud / Charlier / Giraud
Gir, dessin pour la couverture de
Blueberry, tome 24 : Mister Blueberry,
1995 Gouache et acrylique sur papier,
44,3 x 33,6 cm
© Dargaud / Charlier / Giraud
Au sous-sol, c'est toujours de BD qu'il s'agit, mais également de peinture et de cinéma. Un nombre d'œuvres sont exposées en rapport plus brut avec la transformation : il s'agit de la métamorphose à proprement parler, et telle que le conçoit Moebius : un processus souvent violent et involontaire, rarement accompagné d'un développement psychologique, faisant souvent fi de l'état animal, végétal ou minéral. C'est ce qu'illustre parfaitement l'Eclosion, séquence de dessins montrant un homme se faisant transformer en œuf qui éclot par la suite. C'est toujours ce rapport à la forme qui ressort du bestiaire martien imaginaire. La transe fait elle aussi son apparition avec l'idée du passage d'un état de conscience à un autre, comme ces quelques planches du Chasseur Déprime reprenant le personnage du Major Grubert (Le Garage Hermétique), en proie à des doutes existentiels et subissant une sorte de psychanalyse.

L'exposition est complétée par un film d'une quarantaine de minutes, mettant en scène Moebius lui-même, retraçant son parcours et ses influences. Influences que l'on devine innombrables et très certainement réciproques (l'on se souvient de l'exposition Miyazaki-Moebius de 2005). La transformation de l'homme en machine, par exemple, est un thème récurrent chez le cinéaste japonais Shinya Tsukamoto, ou tout simplement chez le dessinateur Enki Bilal, et ce sont bel et bien leurs noms que l'on a à l'esprit face à certaines œuvres de l'exposition. Ainsi, assez paradoxalement, cette rétrospective dédiée exclusivement à Moebius met bel et bien en exergue toute une époque et toute une culture dont il a été un des acteurs principaux. Preuve, s'il en fallait, de l'apport inestimable de l'œuvre de cet auteur à deux genres fondamentaux qu'il considère comme morts aujourd'hui : le western et la science-fiction.

L'exposition est donc très clairement une réussite. Programmée jusqu'au 13 mars 2011, avec un changement de certaines œuvres exposées vers la mi-janvier, elle est également complétée par un site internet proposant chaque jour un dessin exclusif de Moebius et de nombreuses activités.