8/10Changement de climat & Cinéma( s ) - Centre d'art contemporain de Grenoble

/ Critique - écrit par Lilly, le 29/01/2006
Notre verdict : 8/10 - Changement de climat (Fiche technique)

Le style des anciennes bâtisses industrielles du XIXe siècle sied particulièrement bien à l'Art Contemporain, ses réflexions sur le quotidien, sur les objets qui nous entourent, sur l'évolution de notre environnement depuis l'ère industrielle jusqu'à la mondialisation. Abrité sous une verrière rayonnante tout fraîchement restaurée, sur le site Bouchayet Viallet où résonnent encore les pas des ouvriers, le Magasin - Centre National d'Art Contemporain de Grenoble a choisi pour sa réouverture de restituer dans son univers de pierres, de fer et de verre, les interrogations des artistes des 30 dernières années sur ce monde qui n'en finit jamais de nous échapper.

Changement de climat

Contrairement aux musées, les centres d'art contemporain ne disposent d'aucune collection. Depuis 1986, le Magasin fait travailler des artistes in situ. Pour son inauguration, le CNAC de Grenoble a invité Michael Craig-Martin à mêler son univers à celui de l'architecture. Dans l'espace, appelé « La Rue », longue allée étirée, l'artiste britannique a fait imprimer de grandes surfaces de papier peint vinyl pour recouvrir 140 m de cimaises, sur 5 à 7 m de hauteur ! Sur deux dégradés, du rose vif et bleu intense au rose pastel et bleu délavé, les deux fresques invitent à la promenade, dévoilant une série de lignes colorées dessinant les contours de nos objets quotidiens : lampes, robinet, sceau, miroir, chaussures, mais aussi des objets faisant écho à l'histoire de l'art contemporain avec un clin d'oeil à Marcel Duchamp et son ready made « Le Porte Bouteille ».

Les objets, tous de taille égale, s'enchevêtrent, s'enchaînent, pour un récit incongru et pourtant signifiant par toutes les résonances qu'il établit avec notre vécu. Toute l'ambiguïté de ce travail, proche du Nouveau Réalisme, réside dans son aspect froid, industriel, systématique, impersonnel d'une part et son esprit joueur, coloré, équivoque d'autre part. Chaque spectateur imaginera des dialogues différents entre les objets. Formes et couleurs ne sont pas le fruit du hasard mais relèvent bien de l'artiste. Il dispose aujourd'hui d'une véritable bibliothèque d'images à sa disposition qu'il associe à son gré. Si le dégradé donne une impression de couleur passée peu plaisante sur la fin du parcours, les formes et les couleurs des objets ont une esthétique tout à fait harmonieuse, tissée d'arrondis et d'entrecroisements dynamiques dans ces traits qui supplantent la consistance de l'objet.
C'est en somme une mise en espace agréable et intéressante permettant de profiter de l'architecture du lieu, de sa lumière, et surtout une commande bien pensée qui a offert au Magasin la possibilité d'accueillir la foule qui s'est empressée le jour de l'inauguration.
L'épure de l'exposition, constituée de ce gigantesque papier peint, peut paraître déconcertante et frustrante. Aussi déstabilisant soit-il, ce pari d'exposition est une réelle façon de défendre un artiste, évitant l'accumulation d'informations nuisant parfois aux pièces présentées en masse dans des super expositions sans fin.

Cinéma(s)

Plus fournie en oeuvres, cette seconde exposition semble manquer d'un fil conducteur clair. On ressent qu'il s'agit d'une mise en exergue de l'utilisation de l'image et de la vidéo dans l'art depuis les années 70, d'un questionnement sur notre environnement par le biais de ces outils, mais on perçoit mal le parcours de l'exposition, le dialogue entre les différentes oeuvres. Au risque de radoter, signalons encore le ridicule de l'art contemporain quand il se contente de cartels de 5cm sur 3cm pour donner brièvement les repères pourtant essentiels aux visiteurs, quelque peu réticents à avaler la présentation de l'exposition bourrée de références et de concepts... A défaut de dévoiler l'exposition en général, on s'arrêtera sur quelques pièces interpellant notre curiosité.
La salle de Jean-Luc Godard, : il aurait habité La Villeneuve, quartier construit dans les années 70 à Grenoble, pendant 4 ans. Sur 3 faces, des documentaires sont projetés, diffusant sobrement la parole d'habitants, leur vécu, leur quotidien. Le visiteur semble entrer en contact avec ces personnes lorsqu'il chausse ses casques pour écouter les dialogues. C'est une expérience assez intrigante que d'essayer de capter le sens de ces paroles lancées sans introduction, d'autant plus qu'on arrive au beau milieu des films, et que l'on en voit que des fragments aléatoires, à moins de pas passer la journée dans l'exposition.

On passera sur les projections de-ci de-là de bribes de films, sur les photographies des élèves de l'école d'art, sur les affiches de films distrayants mais décousus par rapport à l'ensemble de l'exposition.
L'installation « Know your Rights - Hommage à Jacques Mesrine » présentée par Philippe Perrin s'appuie directement sur l'actualité en évoquant la fusillade du criminel à travers la reconstitution d'une BMW criblée de balles sur fond du morceau des Clash du même nom.

Clin d'oeil à l'actualité également, Ghost of Asia, de Christelle Lheureux, a été réalisé en 2004 avec le cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul pour le projet Tsunami du Festival international de Bangkok. Le visiteur s'installe face à un mur blanc. Comme s'il suivait un match de ping pong, ses yeux parcourent tour à tour l'écran de droite et celui de gauche. A droite des enfants amusés dictent des ordres, à gauche un homme y répond en temps réel. Drôle et cruel, comme le sont les enfants et le monde, le film se veut portrait de l'île thaïlandaise Ko Samed, vue par les enfants de la plage. Une manière ludique de découvrir la réalité de l'île.

Faute d'en saisir réellement le sens, on passera sur le reste des oeuvres, notamment sur les projets collectifs (mixage, films d'animation) dans lesquels a participé Dominique Gonzalez- Foerster.

Que dire de cette exposition si ce n'est qu'on en sort quelque peu désemparé. Certes, les pièces exposées ne sont pas dénuées d'intérêt, mais quelle en est la finalité ? Présenter la diversité des techniques, la diversité des sujets, l'éclosion de nouvelles perspectives dans l'art par le biais de nouveaux média ? Tout cela paraît un peu brouillon au visiteur moyen, en opposition parfaite à la limpidité de la première exposition.

A signaler enfin, le projet fort sympathique « A la une », exposition en ligne conçue par Claude Closky, présentant les oeuvres d'une soixantaine d'artistes, créées en flash, gif ou html à l'occasion de l'inauguration du Magasin. Les oeuvres défilent par plage de 3 ou 4 minutes, sur le site du Magasin : http://www.magasin-cnac.org/

crédits photos : site du MAGASIN