8/10Ma famille

/ Critique - écrit par Amanda C., le 24/07/2009
Notre verdict : 8/10 - Une famille en or (Fiche technique)

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La pièce de l'uruguayen Carlos Liscano s'apparente à un conte des temps modernes dans lequel le commerce des enfants est un mode de subsistance parfaitement banal.

Spectacle en plein air dans la cour de l'école Persil Pouzaraque, Avignon. A la tombée de la nuit, sous les platanes, se joue devant nous une chronique familiale assez atypique. Quatre comédiens, deux hommes et deux femmes, vêtus à l'identique (marcel et pantalons bretelles, style travailleur), quelques éléments peu évocateurs et une petite penderie de costumes parmi lesquels on devine celui de la mère, des enfants, du grand-père, plantent un décor assez sobre.


Un narrateur raconte l'histoire de son père qui commence à la racine du souvenir familial et va se développer chronologiquement, jusqu'à ce que le narrateur soit lui-même grand-père. Ce qui rend cette famille si atypique aux yeux du spectateur, c'est que l'on y vend les enfants au marché comme des meubles dans un vide grenier, juste pour arrondir les fins de mois.

Le ton est désincarné, le jeu, millimétré, est aussi très typé, comme chorégraphié. En effet, tout est précis dans cette mise en scène et le jeu des acteurs ferait penser tantôt à des personnages de commedia, tantôt à des pantins. Peu à peu la maîtrise du jeu et de la scène font travailler avec bonheur l'imaginaire du spectateur, qui reconnaît les personnages grâce à des modes d'interprétation très marqués (le débit de la parole, la posture des corps, un tic...). Des ambiances, des lieux se dessinent alors, et en quelques secondes, on passe, des branches d'un arbre à un bar enfumé. Les émotions sont loin dans le texte ainsi que dans son interprétation.


La pièce de l'uruguayen Carlos Liscano s'apparente à un conte des temps modernes dans lequel le commerce des enfants est un mode de subsistance parfaitement banal. Pourtant, le personnage du père, grand praticien de cet exercice, se surprend parfois à rêver de grandes réunions familiales, à récupérer ceux de ses enfants qui lui manquent le plus. C'est dans ce contraste que l'on découvre une belle métaphore de la société de consommation qui étouffe des valeurs aussi primordiales que la famille et l'attachement sentimental.

Mais dans ce monde de marchandisation (évoquant avec force et ironie une réalité quotidienne), tout n'est pas sans espoir. Ainsi, l'un des frères s'échappe dans les arbres, et mène une vie suspendue, hors des tumultes terriens. Et puis, c'est la joie des retrouvailles qui semblent triompher à
chaque fois, même si chaque génération reproduit les mêmes schémas : c'est dire combien la pièce de Liscano, faussement naïve, brasse les grandes questions allant de l'Histoire collective qui ne cessent de se reproduire, à des histoires individuelles ou générationnelles, qui retombent toujours dans les mêmes failles psychopathologies. Comment transmettre, recevoir, et négocier ses héritages et ses hérédités pour ne pas refaire toujours les mêmes erreurs ? Vaste réflexion qui nous habite après le spectacle...

Co-produit par l'association Contraluz, Ma famille est habilement mise en scène par l'artiste chilien Mateluna, qui affirme être toujours guidé par le sens du texte dans son travail avant toute volonté esthétisante. Un spectacle à voir en famille (ou pas !) jusqu'au 31 juillet, à 21h15.