8.5/10Mélancolie : génie et folie en Occident - Grand Palais

/ Critique - écrit par Danorah, le 30/12/2005
Notre verdict : 8.5/10 - Art saturnien (Fiche technique)

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Difficile pour les amateurs d'art de passer à côté des deux expositions qui font actuellement fureur au Grand Palais (à Paris, bien évidemment), j'ai nommé Klimt, Schiele, Moser, Kokoschka : Vienne 1900 et Mélancolie : génie et folie en Occident. Pour cause de réservation tardive, je n'ai pu profiter que de cette dernière, au titre et à l'affiche par ailleurs plutôt alléchants. Et c'est sans l'ombre d'un regret que je me suis présentée au Grand Palais, munie de mes précieux billets (un conseil : pensez à les réserver, la file d'attente aux caisses atteint rapidement une longueur dissuasive). J'étais pourtant loin de me douter de ce qui m'attendait à l'intérieur de l'imposante bâtisse, remplie à craquer pour l'occasion...

De fait, Mélancolie n'est pas seulement un rassemblement d'oeuvres d'art gravitant autour du thème « mélancolie », c'est surtout un cheminement à la rencontre de l'esprit humain et de ce qu'il porte de plus noir et torturé, à travers l'Histoire, les écrits et la progression des sciences. Très dense, l'exposition ne se prête pas à une visite oisive et passive, mais invite le visiteur à réfléchir, à se tourner en lui-même et à s'interroger. Se déroulant plus ou moins chronologiquement, elle retrace l'évolution de la perception de la mélancolie au travers des âges. Equivalent de « bile noire » (en grec, melas signifie noir, et kholè, la bile ou l'humeur) dans l'Antiquité, elle est alors considérée comme l'un des quatre éléments dont l'équilibre conditionne la santé de l'être humain. Le Moyen-âge voit ensuite la mélancolie se muer, avec l'apparition du christianisme, en vice qu'il faut combattre à tout prix (l'acédie), avant que son blason ne se redore au fil des siècles, pour atteindre l'apogée de sa brillance dans la période romantique, où elle devient tout autant source d'inspiration que sentiment omniprésent dans les oeuvres d'art. Plus tard, avec l'apparition de la psychanalyse, la mélancolie devient l'objet d'études poussées, se voit classifiée, qualifiée selon des termes plus ou moins barbares (monomanie, lypémanie, psychose maniaco-dépressive...), puis vient la guerre, l'expression de la révolte des peintres (Otto Dix, George Grosz) et cette « fascination du vide » qui les emplit... Difficile d'aborder toutes les facettes de l'exposition, tant elles sont diverses et variées.

Dans tous les cas, ce bref historique ne saurait remplacer les informations glanées tout au long de l'exposition, qui, non contente de mettre en valeur de très belles représentations de la mélancolie (notamment la célèbre Melencolia de Dürer, le romantique Moine face à la mer de Friedrich ou encore le magnifique Les Enfers de François de Nomé), est émaillée de citations d'auteurs allant d'Aristote à Houellebecq, en passant par Nietzsche et Chateaubriand... De quoi oublier un éclairage parfois inapproprié et des annotations en caractères difficilement lisibles. En revanche, n'oublions pas de mentionner les salles thématiques (« comment soigner la mélancolie ? ») et la musique sélectionnée pour se prêter au mieux à l'état d'âme dont il est question (on retiendra en particulier une très belle Aria de Haendel et la magnifique Elégie de Fauré, parfaitement dans le ton de l'exposition).

Impossible dès lors de ne pas observer que la mélancolie, tour à tour réprimée, disséquée ou portée aux nues, fait quoi qu'il en soit partie intégrante de chacun de nous, occidentaux... Et dans une société où le bonheur est roi et où le plaisir immédiat fait la loi, la mélancolie que l'on s'efforce d'enfouir au plus profond de soi-même ressurgit inopinément à la vue de ces tableaux représentant un moine face à la mer, ou une femme pensive à la lueur d'une bougie... Car c'est dans la suggestivité que réside le plus grand pouvoir de la peinture, et la plus grande réussite de l'exposition Mélancolie est d'être parvenue à restituer les sentiments que procure cet état d'esprit si particulier, parfois fastidieux et pourtant ô combien indispensable...