9/10Le Moby Dick

/ Critique - écrit par jaiina, le 25/07/2023
Notre verdict : 9/10 - Une pièce chorale, sociale et profondément humaine

Tags : dick moby hotel chambres santa giulia plage

Une pièce sociétale et humaniste qui met brillamment en valeur les dockers. Une pépite d'Avignon.

Résumé : 

Le Havre, Janvier 2002. Ishmael est embauché chez les Dockers, une famille qui a son lot de galères, de secrets et de rires. Dans cet univers opaque et masculin, il se lie d'amitié avec les "camarades" avant d'assister à la plus grande grève connue sur le port. La crise des "ports-morts" devient symbole de barricade et le porte-conteneur, une bête immonde à abattre. Embarqués par le capitaine Achab, les hommes tentent de croire en un avenir meilleur.

Notre avis :

Cette pièce est une jolie surprise comme le Off d'Avignon sait en procurer. Il fallait du courage et du talent pour revisiter le "Moby Dick" de Melville et le transposer dans le monde des dockers du port du Havre en 2002 mais Lina Lamara a réussi son pari, à la fois sur le fond et sur la forme.


copyright Phillipe Sheraf.

 

La pièce met en scène 9 dockers et une patronne/ compagne d'un docker et très vite, l'implication, l'engagement total des comédiens nous immerge dans ce port. Ils sont en tenue de travail et leurs gestes, leur gouaille ainsi que l'utilisation malicieuse de plaques de tôle qui sont tantôt des containers, tantôt des tables, nous font vivre les scène au point que nous nous y croyons totalement. Ce n'est plus une scène devant nous mais un vrai quai. Le nombre élevé de comédiens sur scène, fait rare, donne du corps et du mouvement à l'ensemble et n'empêche pas chacun d'avoir le temps de présenter son histoire, ses fêlures, ses rêves. Très vite, nous comprenons que derrière le côté bourru des dockers, ils forment tous ensemble une famille soudée, prête à s'entraider face aux difficultés personnelles de chacun et professionnelles lorsque la modernisation du port risque de les plonger dans la précarité.

Le plus dur est d'intégrer cette bande mais ensuite, Ishmael pourra y trouver le refuge familial qui lui a fait défaut dans sa jeunesse.

Il se dégage de cette pièce un parfum de Ken Loach matinée de tendresse et d'affection que l'on ressentira nécessairement pour tel ou tel personnage. 

Les comédiens sont tous totalement habités par leurs personnages, aussi bien dans leurs gestes, leurs expressions faciales (cf. la scène finale) et corporelles. On devine une forte documentation sur le quotidien des dockers, avec également une mention spéciale pour Alain Leclerc, qui incarne un capitaine plus vrai que nature et dont les propos quant à l'achèvement d'une époque trouve une juste résonance. L'arrivée du méga porte container "Moby Dick", grand comme 4 terrains de football va nécessiter l'emploi de machines pour remplacer des dockers et gagner en efficacité. La pièce s'interroge aussi sur la place de l'homme et des machines, aujourd'hui et demain: les machines resteront-elles toujours à notre service ou bien deviendront-elles nos patrons ?

Lina Lamara fait montre d'un grand souci d'authenticité et réussi à rendre hommage à ces invisibles si important dans le fonctionnement de notre société. Ainsi parviendront-ils à bloquer très rapidement l'économie en se mettant en grève... 

En somme, cette pièce singulière sur un corps de métier peu représenté est très aboutie et poignante. Les notions de solidarité, d'humanisme et l'inquiétude face à l'avenir et à la modernisation sont particulièrement bien analysées et retranscrites par des comédiens investis.


copyright Phillipe Sheraf.

 Informations pratiques:

Théâtre des Gémeaux, salle du Dôme

Horaire : 11h35​

Relâches : 
Mercredis 12, 19 et 26/07 

Durée : 1h20

De : Lina Lamara

Mise en scène : Lina Lamara

​Avec : Alain Leclerc, Akim Chir, Adrien Bernard-Brunel, Alexis Desseaux, Alex Metzinger,

Valérie Zaccomer, Nicolas Soulié, Stéphane Titeca, Antonio Macipe, Pierre Benoist