8/10Parloir - Pépito Matéo

/ Critique - écrit par Lilly, le 22/07/2006
Notre verdict : 8/10 - Un grand parleur s'invite au parloir (Fiche technique)

Tags : mateo pepito theatre moreau nathael conteur paradox

Grand raconteur, Pépito Matéo nous emmène dans un voyage saugrenu au coeur de l'univers... carcéral. Sur le plateau nu, le vagabond des prisons nous fait le récit de ses observations de petite souris cachée dans un dédale de cellules. La prison prend vie et la pièce n'est pourtant jamais glauque. Pépito Matéo choisit de conter l'histoire de ceux qui sont des hommes avant d'être des détenus, avec toujours dans les yeux un petit brin de bienveillance.

L'art du conteur réside dans sa capacité incroyable à transformer ses mots en projections d'images vivantes dans nos esprits. A chacun son cinéma. L'orateur nous prend à témoin, nous interpelle et nous implique dans son récit allant jusqu'à intégrer une sonnerie nauséabonde de portable dans le déroulement de son discours. Il vient cueillir notre attention avec un sourire et une complicité amicale et nous fait visiter ces murs qui enserrent toutes ces vies tenues à l'écart. Théâtre dans le théâtre, le spectateur devient lui aussi emmuré dans la boîte noire créée pour le spectacle de l'artiste, il dépend de son flot de mots, comme la vie de ses personnages dépend de sa parole, cette mémoire sonore sans laquelle tous seraient anéantis dans l'oubli d'un coin de cellule.

Petit à petit, les numéros des détenus deviennent des noms, puis des visages, des hommes, avec toute leur maladresse, leur cruauté, leur humanité. Dans le béton résonnent les coeurs et les voix qui hurlent pour discuter de cellule à cellule. On découvre les amitiés, les anecdotes, les fables même comme croyance partagée de cette communauté. Ainsi, on voit passer sous nos yeux le Crabe, ce gardien à la démarche latérale lorsqu'il fait sa ronde de vérification, le détenu pris de tics nerveux qui le font ressembler à une cocotte minute sous pression, on découvre les gestes d'amour et d'amitié : une fleur qui passe de cellule en cellule, une souris qui ronge le câble électrique de son ami le jour de son exécution, cette femme qui toutes les nuits monte sur l'abri bus et chante en direction de son amant incarcéré. Comme pris d'un besoin irrépressible, le raconteur parle parle, saute du coq à l'âne, passionné par ses découvertes et envieux de nous offrir un autre angle de vue sur cette réalité que l'on enterre et fuit, et qu'il aime. On entend avec lui ces cris plein de vie, ces vannes amicales, l'éternuement du gardien, les discussions avec les familles au parloir. On prend connaissance des lieux et de leur brutalité, mais toujours le ton est jovial et railleur.

Parfois le conteur nous ménage des bouffées d'air hors des murs, le temps de comparer notre société aux tragédies grecques, d'imaginer la tragédie d'Oedipe à l'envers, ou de s'étonner « Ils étaient pas frais ces Grecs ! ». Au-delà de la légèreté, on saisit l'absurdité de notre propre société qui se satisfait de reléguer ces hommes dans un état de bestialité dont il paraît difficile de se relever. Les lumières seules créent l'atmosphère de la prison, jouant sur les symboles comme les grilles aux fenêtres, le gris omniprésent... Le reste n'est qu'une histoire de mots, qui s'enchaînent en cascade dans un désordre volontaire. Difficile de maintenir son attention tant le spectacle est dense et ne repose que sur la voix du maître. Mais Pépito Matéo signe un texte frais et joueur, dit sur un mode intime, un spectacle profond qui interroge notre société et nos propres préjugés avec humour et modestie. De quoi se demander où réside l'inhumanité ? Avec ses airs de Jean-Marie Bigard et sa qualité de grand bavard, Pépito Matéo nous met face à tout ce que la société veut dissimuler, sa part d'ombre, sa honte, son impuissance.

Pour ce spectacle l'artiste a travaillé à partir de rencontres et d'ateliers en univers carcéral, et de captages sonores. Parloir est visible jusqu'au 27 juillet à 12h15 à la Manufacture pour le festival Off d'Avignon.