8/10Quatre heures à Chatila

/ Critique - écrit par Lilly, le 08/04/2006
Notre verdict : 8/10 - Au Chamboultou (Fiche technique)

Tags : chatila genet jean heures quatre corps feddayin

Un homme vêtu d'une chemise et d'un foulard que Yasser Arafat a rendu célèbre au monde, s'agite parmi les spectateurs qui bavardent dans le hall du théâtre. Le ton est donné : la proximité et l'intimité seront deux éléments essentiels de cette pièce. Cet homme entre le dernier dans le théâtre mais ne s'assied pas. Il enjambe la scène et se lance à grandes foulées dans les bras du texte aussi dur que poétique de Jean Genet.

Bouleversé au plus profond de son humanité, à 72 ans, alors qu'il a cessé d'écrire depuis des années, Jean Genet se rend à Beyrouth. 4h à Chatila, 4h de révolte et de dégoût envers le genre humain, 4h de compassion profonde envers le peuple palestinien. 4h au coeur des massacres du camp palestinien de Chatila. La langue est simple et juste, elle décrit dans le détail le drame mais ne verse jamais dans l'obscénité du voyeurisme nécrologique, précise et distanciée à la fois, forte de ses images hautement poétiques permettant à l'imaginaire de construire une scène plus juste que la réalité elle même. Genet dépeint ces cadavres violentés par des monstres-qui peuvent-être ces tortionnaires si ce n'est des monstres ? - avec dans l'oeil une tendresse rendant à ces sacrifiés toute leur dignité. C'est un cri d'amour pour les Palestiniens que nous offre Jean Genet, un amour douloureux qui s'indigne contre les exactions odieuses commises contre ces gens plein de vie, ces femmes courageuses et rebelles, ces jeunes hommes fiers et beaux.

Alors comment porter cette parole simple et tumultueuse sur un plateau de théâtre ? Comment toucher comme l'on a été touché à la lecture de ce texte ? Michel Véricel choisit la sobriété et le naturel pour rendre ces mots plus proches de nous, pour faire résonner en nous cet appel d'une actualité brûlante. Il se faufile dans la peau d'un Jean Genet émouvant et fort, hésitant à parler, comme écoeuré par les mots qui s'apprêtent à se faire entendre, il nous plante son regard franc et brillant et nous émeut à coups sûrs. A deux pas du spectateur, Michel Véricel devenu Jean Genet, choisit de s'adresser au public, comme à des amis à qui il raconterait son voyage, revivant ses peines face aux atrocités mais aussi son admiration face à la culture et au tempérament des Palestiniens. Peu de gestes, pas de cris, et pourtant les images nous frappent de l'intérieur, la violence s'infiltre en nous comme vécue, on partage, on vit les souffrances de Jean Genet ou de Michel Véricel, faits, semble-t-il, d'une même chair.
Le décor est fait de peu, mais ce peu est finement pensé. Un intérieur, comme la chambre d'hôtel où vit Jean Genet dans ce voyage, une porte qui protège de l'extérieur et ouvre sur un spectacle morbide, quelques parpaings, symbolisant le camp et la rue, cercueils improvisés des corps martyrisés, des murs de peintures rouges et délavés, au sol un tapis typique. Le décor n'est pas là pour représenter, il est là comme tremplin à notre imagination qui se hâte bien de faire le reste. La lumière et le son sont soignés. La sobriété du spectacle est bien conçue et fonctionne réellement. Alors, ça ne trompe pas, si le spectateur se laisse aussi facilement entraîner, c'est bien le talent de Michel Véricel qui en est le responsable. Il nous apparaît si familier, si humain, chaleureux dans ses sourires, exténué dans sa révolte, qu'il gomme le rapport scène/salle. On entre sur le plateau. Son jeu franc et simple est en harmonie avec le texte de Genet.

C'est par sa forme épurée que la mise en scène de Michel Véricel porte le plus justement le vécu de Jean Genet. L'humain et l'émotion retenue sont au coeur de cette pièce bouleversante, universelle et péniblement ardente d'actualité. Elle chamboule les tripes pendant quelques heures...