6.5/10Tragedy ou la nécessité des clowns dans l'humanité

/ Critique - écrit par Lilly, le 08/04/2006
Notre verdict : 6.5/10 - Haut en couleur mais faible en écriture dramatique (Fiche technique)

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Lundi 9h du matin : la folle équipe marseillaise gare ses breaks repeints à la cartoun sardines devant l'Hexagone et s'installe pour 4 jours, bébés et casseroles dans les bras. Le montage pour le lendemain soir commence. On pressent alors une mise en scène importante et une dégaine arts de la rue qui ne trompera pas.

Lundi 16h : déjà le plateau est envahi d'éléments en vrac, colorés et attrayants.

Mardi 20h : soir de première, salle remplie de jeunes, impatience de voir l'équipe des clowns en action. Le noir absolu se fait.

Deux professeurs pittoresques armés de tableaux et autres diapositives se sont donnés pour mission de nous expliquer l'histoire du théâtre. Vaste entreprise, me direz vous, surtout lorsqu'on a décidé de s'arrêter sur les méandres mythologiques grecques, et de retracer l'histoire des origines, celle des Atrides. Une histoire de famille qui se passe de génération en génération le fardeau d'une malédiction divine. On croisera les chemins d'Agamemnon, Clytemnestre, Iphigénie, Electre, Oreste, Hélène, Ménélas, Hermione. Entre autres. Récapitulons la trame rapidement : Hélène est enlevée. Pour que Ménélas, son mari, la retrouve, les dieux obligent Agamemnon à sacrifier sa propre fille Iphigénie. Pour se venger, Clytemnestre, mère d'Iphigénie et femme d'Agamemnon tue ce dernier. Electre et Oreste, quant à eux, veulent venger leur père Agamemnon et tuent leur mère, Clytemnestre. Voilà c'est dit.


Oui, mais tout cela est dit sur fond de décor loufoque, mise en scène décalée, et humour clownesque. Tout est coloré, lumineux. Les décors sont bluffants, rivalisent toujours d'ingéniosité. On utilise tout l'attirail du théâtre dans sa diversité : sons, chants, instruments de musique, lumière, construction de décors, trouvailles techniques, costumes flamboyants ou ridicules, marionnettes, projections, ombres... Un petit air d'arts de la rue, c'est bien à cela qu'on pensait. Les Cartoun Sardines ne manquent pas de créativité et possèdent un univers esthétique très fort. On ne peut s'empêcher de sourire quand la petite Iphigénie traduit sa colère en frappant sur une batterie, quand Clytemnestre et ses cheveux de roses rouges en papier défile sur le toit du palais comme portée dans les airs par un tapis roulant, quant enfin un Dieu à l'immense visage en ferraille et aux yeux roulants jaillit dans les airs, manipulés par des gaines métalliques. La mise en scène est dynamique et très plastique.

Mais que retient-on du texte, du sens, du jeu, du théâtre en somme ? On aime la volonté de pédagogie qu'on lit derrière ce projet, on aime le début de la pièce où les deux professeurs expliquent les origines du théâtre. Mais pourquoi insérer l'intégrale des Atrides pour illustrer le propos de la création de l'art dramatique ? Pourquoi vouloir traiter de l'histoire du théâtre et représenter toute la filiation de cette famille ? Les interactions entre les deux sont malaisées une fois la pièce lancée. Les comédiens semblent bien petits aux côtés de leur décor. Ils jouent sans le vivre, manquent de clarté et de technique théâtrale (voix, jeu ), enchaînent les actions sans transmettre vraiment d'émotions, ni dans le rire ni dans la tristesse face au tragique. Ainsi on se moque de la tragédie sans provoquer le rire, on vide la tragédie de sa portée et de son sens sans parvenir à l'intelligence de la dérision. On s'emmêle dans les fils tendus par ces clowns ni gais ni tristes. On s'ennuie un peu également. Bref, la mise en scène, aussi ingénieuse soit elle ne remplace pas la qualité du travail de l'homme de théâtre ni la construction dramaturgique, qui est inégale dans son rythme. Ici l'histoire et le sens du théâtre sont simplifiés sans que l'on accède mieux à une réflexion, certes intéressante, sur ce sujet et la tragédie est lissée, non épurée mais aplatie. On passe à côté de l'un comme de l'autre tout en percevant le potentiel de l'équipe, de leurs idées saugrenues, de leur engagement éthique pour un théâtre populaire et amusant.


De belles choses à proposer donc de la part de cette compagnie, attendue pour la réputation de ses autres spectacles, notamment pour le conte d'Hiver. Si elle parvient avec d'autres spectacles à vulgariser des classiques, apporter un regard frais et déjanté sur des textes complexes et durs sans les abîmer, elle ne remplit pas ici ses objectifs. La fantaisie du décor ne rattrape pas la faiblesse d'un récit qui se perd dans son propos.